Grenoble a obtenu devant le tribunal administratif, ce mardi 25 mars 2025, la condamnation de l’Etat pour « carence fautive » en matière d’hébergement d’urgence. Cette décision est la première rendue à la suite du recours en justice débuté en février 2024 avec quatre autres grandes villes françaises qui pallient elles aussi les manquements de l’Etat sur ce sujet. Céline Deslattes, conseillère municipale déléguée à la grande précarité nous en dit plus.
Le tribunal administratif de Grenoble a condamné l’État à indemniser la Ville pour ses carences en matière d’hébergement d’urgence. Quel message cette décision envoie-t-elle ?
C’est une victoire pour la Ville et pour l’accès aux droits ! Alors même qu’Emmanuel Macron avait promis qu’il n’y aurait plus personne à la rue à la fin de son premier mandat, aujourd’hui en France des milliers de familles sont dans la rue.
Cette condamnation est un signal fort : l’État ne peut plus se dérober à ses obligations légales. Il est l’autorité compétente en matière d’hébergement. À Grenoble le nombre de personnes domiciliées au CCAS et vivant chez un tiers, en squat, en bidonville, à la rue ou en abri de fortune n’a cessé d’augmenter pour atteindre plus de 4 400 personnes en septembre 2024. Parmi elles, 950 sont mineures. Pire, nous décomptons 1200 personnes à la rue dont 240 enfants.
Ce jugement est un pas important pour pousser l’État à répondre à ses obligations et Emmanuel Macron à tenir ses engagements. À Grenoble, nous suppléons les déficiences de l’État à hauteur de ce que nous pouvons, mais nous devions agir pour faire reconnaître ce droit fondamental, celui de pouvoir vivre dignement avec un toit sur sa tête. Aujourd’hui, justice est faite pour une famille, demain, soit l’État répond à ses obligations, soit nous devrons retourner devant la justice demander réparations pour les milliers d’autres familles abandonnées.
La Ville a engagé cette action avec d’autres grandes métropoles. Pensez-vous que cette mobilisation collective et cette condamnation vont changer la donne ?
La crise de l’hébergement d’urgence n’est pas un problème isolé. À Lyon, Bordeaux, Rennes, Strasbourg et Grenoble, nous faisons face aux mêmes défaillances de l’État. Il s’agit d’un abandon général des politiques publiques de solidarité. En nous regroupant, nous voulions montrer que ce n’est pas une situation propre à une ville, mais une indignité d’ampleur nationale. Nous appelons donc l’État à assumer pleinement ses responsabilités
Ce jugement crée un précédent. Si d’autres collectivités suivent notre exemple, la pression juridique et politique va s’accentuer. Soit l’État réagit, soit il devra répondre devant la justice de ses carences. Les moyens accordés par le gouvernement sont largement insuffisants même s’ils ont été augmentés au cours des dernières années. Un-e adulte seul-e à la rue, n’a quasiment aucune chance d’obtenir une place d’hébergement en appelant le 115. Il en va de même chaque soir pour de nombreuses familles.
Pour pallier les carences de l’État en la matière, et activant ses compétences facultatives, le CCAS de Grenoble est pleinement mobilisé pour l’hébergement des plus précaires. En 2024, face à la demande croissante et au manque de places d’hébergement d’urgence en Isère, Grenoble a créé 100 places supplémentaires, passant de 240 à 340 places gérées et financées directement par la Ville. Nous ne pouvons plus accepter d’être le dernier rempart face à son inaction, un rempart qui ne permet pas évidemment de répondre à toutes les urgences malgré un effort très important de notre Collectivité.
Quelle est la prochaine étape pour Grenoble dans ce combat ?
Nous allons continuer à nous battre, à documenter chaque situation où l’État manque à ses obligations et, s’il le faut, à saisir la justice encore et encore. Mais au-delà des recours, nous demandons un véritable plan national d’hébergement d’urgence, avec des moyens à la hauteur de la crise sociale et humaine que nous traversons. L’État doit cesser de fermer les yeux : des enfants dorment dehors aujourd’hui, en France, en 2025.
L’État doit repenser la question et prendre exemple sur des pays qui ont réussi à éradiquer quasiment totalement le sans-abrisme, comme la Finlande avec son programme Housing First (Logement d’abord). Plutôt que de multiplier les hébergements temporaires, ce modèle repose sur un principe simple : fournir un logement stable dès le départ, accompagné d’un suivi social et médical adapté. Résultat ? Le nombre de sans-abri a chuté drastiquement. Il est temps que la France arrête de bricoler et adopte des solutions éprouvées qui fonctionnent. L’État, seul compétent, continue d’abandonner les plus précaires et de faire peser sur les communes une charge financière et humaine qui ne leur revient pas.
Nous ne laisserons pas cette situation devenir la norme. Il faut une réponse politique forte, immédiate et ambitieuse. Chaque nuit passée dans la rue est une nuit de trop. Cette première victoire ouvre une brèche : nous ne lâcherons rien pour que ce droit soit respecté partout en France !