Voeu du groupe Grenoble en Commun pour une politique digne de l’accueil des migrantes et migrants – Conseil municipal du 12 décembre 2022
De tout temps, les migrations, ont forgé notre Histoire. Depuis les premières migrations entamées par les premières femmes et premiers hommes il y a 2 millions d’années aux populations ukrainiennes fuyant aujourd’hui les bombardements de leur pays ; depuis la traite négrière qui dura près de 5 siècles aux grands flux migratoires intra et extra-européens liés aux deux guerres mondiales ; les migrations, voulues ou contraintes, ont construit le sens de notre humanité. Au cours du XXe siècle, Grenoble a elle-même été le terrain d’arrivée de plusieurs vagues de populations migrantes : de populations italiennes dès les années 1920, maghrébines et principalement algériennes dans les années 1960, chiliennes dans les années 1970, mais aussi arméniennes, espagnoles, portugaises ou encore argentines. Ces arrivées ont permis de construire l’identité de notre ville, sa richesse et sa diversité culturelle, son cosmopolitisme.
Le XXIe siècle n’échappe en rien au cours de l’Histoire. Poussées sur la route de l’exil, fuyant la pauvreté, les conflits locaux, les difficultés sociales et économiques, les persécutions et les effets du dérèglement climatique, ce sont aujourd’hui principalement des populations en provenance de l’Afrique sub-saharienne, du Proche-Orient ou encore de l’Est de l’Europe qui quittent leurs pays et leurs familles dans l’espoir d’une vie meilleure. Ce sont les migrantes et les migrants de Calais, attendant de rejoindre à tout prix l’Angleterre ; celles et ceux sauvé-es par l’Aquarius et l’Ocean Viking lors de leur traversée désespérée de la Méditerranée ; ce sont celles et ceux qui traversent à pied nos cols alpins, dans la neige, sans équipement adapté ; ce sont plus généralement celles et ceux qui risquent quotidiennement leur vie par la terre, la mer ou les airs pour espérer rendre cette vie un peu meilleure, sinon moins pire. Ce sont aussi celles et ceux qui échouent dans leur objectif, et trouvent la mort dans leur tentative de contourner des politiques d’immigration restrictives pour assurer leurs propres libertés de circulation et d’installation garanties par la déclaration universelle des droits de l’homme. Rappelons à ce titre ce que stipule, dans ses articles 13 et 14, cette déclaration adoptée par la France en 1948 : « Toute personne a le droit de circuler librement et de choisir sa résidence à l’intérieur d’un Etat. Toute personne a le droit de quitter tout pays, y compris le sien, et de revenir dans son pays. Devant la persécution, toute personne a le droit de chercher asile et de bénéficier de l’asile en d’autres pays ».
Le 3 septembre 2015, Aylan Kurdi faisait la une des journaux internationaux. Ce petit Syrien de trois ans, retrouvé mort sur une plage de Bodrum en Turquie, symbolisait malgré lui la cruelle réalité de la crise des migrantes et migrants cherchant à rejoindre l’Europe. Éveillant les consciences, cette image a été à l’origine d’un mouvement citoyen inédit, dépassant les clivages politiques, sociaux et religieux pour venir en aide aux migrant-es et réfugié-es. Elle aura été à l’origine de la création de SOS Méditerranée, de la fondation de l’ANVITA ou encore de déclarations volontaristes de certains États européens.
7 ans plus tard, si SOS Méditerranée continue sa mission cruciale et si certains territoires se mobilisent toujours pour un accueil inconditionnel et solidaire, les annonces volontaristes de l’époque n’ont, en revanche, toujours pas été concrétisées, dans les actes, par de réelles politiques volontaristes. Comme une allégorie symbolisant cette inaction des États, en novembre 2021, 27 migrantes et migrants mourraient noyé-es dans la Manche pendant que les équipes de secours françaises et britanniques se renvoyaient la balle quant à la localisation de leur embarcation. Un an plus tard, alors qu’une enquête s’ouvrait sur ces événements, l’Ocean Viking, interdit d’accostage par le Gouvernement italien, arrivait dans le port militaire de Toulon après 3 semaines de navigation en pleine mer. Face à ce drame humain, dans une logique humanitaire uniquement comptable, un proche du président Macron déclarait que « les personnes débarquées à Toulon seront retranchées du nombre que nous accueillons cette année au titre de la solidarité avec l’Italie ».
Annoncé dans la presse, une loi immigration est actuellement en cours d’élaboration par le Gouvernement. Elle sera présentée aux parlementaires début 2023. Au programme : création d’un titre de séjour « métiers en tension », cours de français, accélération de l’instruction de dossiers, accélération de l’application des OQTF… si cette loi mettrait fin à une certaine forme d’hypocrisie de l’État sur certains de ses aspects, elle orienterait la France sur le chemin de « l’immigration choisie », au cas par cas, en fonction des besoins, faisant des migrantes et migrants une simple réserve de main d’œuvre, occultant l’aspect humain et philosophique des questions migratoires. Si elle permettrait, dans une certaine mesure, à lutter contre les réseaux de travail clandestin organisé et de trafic d’êtres humains tel celui démantelé en Isère en novembre 2021, la volonté affichée d’accélérer les reconduites à la frontière inquiète. En ce sens, le 4 novembre, l’ANVITA et une trentaine d’associations adressaient à la Première ministre une lettre ouverte demandant une consultation des associations et collectifs quant à ce projet de loi. Elles y indiquaient que « la question de l’entrée et de l’accueil des personnes étrangères en France ne peut relever du seul ministère de l’Intérieur et devait impliquer bien d’autres dimensions comme l’habitat, la santé, la scolarisation, l’éducation, la formation, le travail, la protection des plus vulnérables ».
L’actualité semble donner raison à ces associations : dans sa circulaire du 17 novembre 2022, le ministre de l’Intérieur demande une accélération du traitement des OQTF, et ce alors que la future loi n’est pas encore en débat, anticipant par-là l’orientation décidée par le Gouvernement. Par ailleurs, le 26 novembre 2022, le tribunal administratif de Rouen a débouté la préfecture de Seine-Maritime qui demandait aux gestionnaires de centres d’hébergement d’urgence d’exclure de leur dispositif « insertion » les étrangères et étrangers en situation irrégulière faisant l’objet d’une obligation de quitter le territoire exécutoire. Or, le droit à l’hébergement d’urgence n’est pas relatif. Il ne peut être conditionné à la situation administrative des personnes.
Ville Compagnon de la Libération dépositaire de valeurs humanistes, ville cosmopolite héritière d’une tradition d’accueil et d’hospitalité, membre fondatrice de l’ANVITA, Grenoble se fait l’écho de cette interpellation. L’Etat doit se donner les moyens de répondre aux véritables enjeux des questions migratoires actuelles et à venir.
Ainsi, le conseil municipal de la Ville de Grenoble demande au Gouvernement et aux parlementaires à l’occasion du débat autour de la future loi asile et migration :
- d’assortir chaque titre de séjour d’une autorisation de travail ;
- de permettre à tous les employeurs, dont les collectivités territoriales, de proposer des contrats de travail aux personnes migrantes ;
- de garantir le droit à l’apprentissage de la langue française par des dispositifs à la charge de l’Etat ;
- de garantir aux personnes migrantes leurs droits fondamentaux, tels que celui au sauvetage en mer et celui à l’hébergement d’urgence ;
- de mettre en place un dispositif d’accompagnement spécifique pour les femmes migrantes, davantage exposées aux violences, violences sexuelles et à la traite humaine ;
- de garantir que les associations puissent accéder aux lieux d’accueil et de rétention pour proposer leur aide ;
- de renforcer les moyens de répondre aux demandes d’immigration, notamment dans les préfectures afin de permettre un accueil rapide des demandeurs et demandeuses et d’accélérer les délais de réponse ;
- permettre à l’ensemble des préfectures de pouvoir recevoir les personnes migrantes et traiter leurs demandes ;
- de régulariser les personnes migrantes vivant en situation irrégulière sur notre territoire depuis des années.
En outre, le Conseil municipal de la Ville de Grenoble se joint au Collectif pour l’accueil et l’inclusion des personnes exilées, et demande au Président de la République l’organisation d’une Convention Citoyenne sur la Migration dès 2023 pour en finir avec l’impuissance de la politique migratoire en France.